L’obsession pour le cadre macroéconomique au Congo-Kinshasa
Depuis quelques 10 ans, il s’observe une rhétorique surprenante en RD
Congo: celle du cadre macroéconomique. De la majorité à l’opposition en
passant par les universités et la Banque Mondiale, il y aurait l’unanimité sur
la recette à présenter aux Congolais.
Dans les discours programmes de deux opposants le cadre macroéconomique est
une pièce centrale.
Parlant des mesures de reformes de la banque centrale du Congo, Kamerhe est
spécifique aux pages 35 et 36 que “Nous créerons les
conditions favorables à la consolidation du
secteur de la microfinance et nous
impulserons l’inclusion financière en vue
de permettre à la Banque Centrale de
développer les systèmes de paiement, de
faciliter le recours aux services financiers et
de renforcer le contrôle des institutions
financières non bancaire. Nous poursuivrons avec
la Banque Centrale, le processus de
la dé-dollarisation de l’économie congolaise, en
accumulant les réserves internationales et en stabilisant le cadre
macroéconomique en vue de renforcer
le mécanisme de transmission de la
politique monétaire, de réduire les
vulnérabilités financières et de valoriser le franc
congolais. » . Si Kamerhe est élu président, le cadre macroéconomique sera
stabilisé, apparemment il ne l’est pas ou ne l’a jamais été.
Son voisin opposant Antoine Felix Tshisekedi a trouvé aussi une formulaire
proche pour ne pas dire similaire « Nous allons élaborer
annuellement le Budget de l’État sur base d’un cadre macro-économique réaliste,
maîtrisé et conforme à l’objectif principal
de ce Programme, qui est de vaincre la pauvreté. »(Page 32 du discours
programme).
Au fait le but est même explicite: vaincre la pauvreté.
Mais pendant combien d’année faut-il stabiliser le cadre macroéconomique
pour vaincre la pauvreté?
Joseph Kabila a été président pendant 18 ans et justifiait la réussite de
son mandat par l’échec macroéconomique des
mandats des années 90. Le 19 Juillet 2018, dans son discours de passion, il
avait visé le cadre macroéconomique: « Au cours de la décennie 90, nous
étions en effet plongés dans un véritable gouffre, en raison d’un marasme
économique caractérisé par une dépréciation monétaire de plus de 90%, un taux
d’inflation à quatre chiffres qui, à un moment, a dépassé le seuil de 3.000%,
les déficits chroniques du compte général du Trésor, et la chute vertigineuse
des recettes publiques au point d’en arriver à des prévisions budgétaires
insignifiantes de trois cent millions de dollars américains en 2001,
c’est-à-dire, au moment même où tout était à reconstruire, en priorité et en
urgence.
Fort heureusement, après avoir pacifié et réunifié le pays, J’avais proposé
à notre peuple un programme économique indicatif et un programme financier
intérimaire sans soutien extérieur, avec pour objectif, la stabilisation du cadre macro-économique, ce qui a permis de
casser l’hyper inflation et d’assurer la stabilité du taux de change, de
réduire le déficit du compte courant extérieur, de résorber les arriérés de la
dette extérieure et d’amorcer les réformes de la première
génération. »
Joseph Kabila affirme ici qu’il est l’initiateur de la stabilité du cadre
macroéconomique, depuis 2001. Plus loin dans son discours il montre comment la pauvreté
a été vaincue pour les salarié quand il observe qu’ « Il reste
évident que l’amélioration et la stabilité du cadre
macro-économique du pays a eu un impact positif notamment sur les masses
laborieuses. C’est ainsi qu’à titre indicatif, la rémunération la plus basse
des fonctionnaires de l’Etat est passée de 35.000 Francs Congolais en 2010 à
129.000 FC en 2018, et celui du rang le plus élevé de 61.000 FC à 1.400.000 FC.
»
Pour autant que ces chiffres soient vrais, personne n’avait demandé si ces
salaires concernaient combien des congolais. Hélas, dans son bilan il ne
pouvait pas se passer de l’aubaine du cadre macroéconomique.
Mais peut-être le plus grand chantre du cadre macroéconomique reste
Augustin Matata Ponyo. C’est en effet depuis 2012 que le langage du cadre
macroéconomique a quitté les auditoires et le laboratoire d’économie pour la
rue.
En Avril 2015, le journal ACP rapportait ceci:
« La stabilité du cadre macroéconomique du pays se consolide davantage
au regard des principaux indicateurs observés tels que le taux d’inflation
hebdomadaire situé à 0,012% (-0,001), a constaté lundi la réunion
de la Troïka stratégique du gouvernement présidée lundi par le Premier
ministre, Augustin Matata Ponyo, dans son communiqué parvenu mardi à
l’ACP. »
Qui ne se rappelle pas des communiqués de cette Troïka Stratégique chaque
Lundi? C’était la messe où la prière favorite était « la
stabilité du cadre macroéconomique ».
Cette repetition, peut-etre, fera que l’Université Protestante au Congo décerne
à Matata un Doctorat Honoris Causa. Spécifiquement on écrivait sur cet
événement de Novembre 2015 ceci : « En tout cas, pour le président du
jury, Matata a démontré la recherche de l'excellence, la constance, la
ténacité, le sérieux, la discipline.
Et quels sont donc les mérites pour que le premier ministre soit
récipiendaire de ce diplôme d'honneur?
Il y a la stabilité du cadre macroéconomique,
la résilience de l'économie de la RD Congo face aux chocs externes, la
valorisation des ressources humaines. »
Toute une faculté d’Economie d’une des meilleures universités de la RD
Congo avait donc répété le refrain de la stabilité du cadre macroéconomique.
Pourtant les arguments seront démontés par Mabi lors d’une soirée à l’Ambassade
de l’Angleterre.
Dans un article « scientifique » intitulé « Bilan économique
des gouvernements de la RDC entre 1960 et 2016 », Le
Laboratoire d’Economie Quantitative (LAREQ) demontre sur base des critères des
indicateurs macroéconomiques que Matata est le meilleur de tous les 22 premiers
ministres entre 1960 et 2016. La science peut tout justifier…
Et même après la primature, Matata justifiait aussi son passage à la
primature lorsque répondant au compte Twitter d’un « jeune leader du PPRD »
il affirmait qu’ “Aujourd’hui, les gens comprennent comment les cadres macroéconomiques se +mangent+“. Pour
lui, la recette était dans le cadre macroéconomique.
Mais l’homme aux tribunes populaires ne pouvait pas accepter se faire voler
la vedette.
JeuneAfrique dit de Muzito que
“C’est lui qui avait amorcé la stabilisation du
cadre macroéconomique du pays et avait permis à la RD Congo d’atteindre
le point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés
(PPTE) en 2010 ».
Lors de la 16ème tribune populaire, Muzito affirmait, justifiant aussi son
bilan, « En effet, le quinquennat 2012-2016 a hérité du quinquennat
précédent,
2007-2011, d’une bonne situation économique et financière. Il a ainsi
démarré avec un bon cadre macroéconomique.
Cette situation restée positive pendant 36 mois, de 2012 à 2014, se
caractérisait par des dépôts importants de l’Etat dans le système
bancaire jusqu’à fin 2014.”
Dans son livre de 2015“La Démagogie s’arrête lorsque les chiffres
parlent”, les préfaciers nous rappellent que “ D’aucuns se poseront la
question de savoir pourquoi Muzito n’a pas apporté une solution à ces problèmes
lorsqu’il était aux affaires. A ceux-là, avec modestie , mais aussi fermeté,
Muzito tient à faire savoir que notre économie était encore dans un état
lamentable lorsqu’il prit les rênes du gouvernement. La tâche ne fut certes pas
facile, mais en quelques années, en cooperation avec les institutions
internationales, Muzito est parvenu à stabiliser le
cadre macroéconomique, la stabilité du taux de change de Franc
Congolais et aussi à faire réduire la dette extérieure, gage pour le pays à
entreprendre sa modernité »
Alors que Muzito reconnaissait que le cadre macroeconomique etait stable
jusqu’en 2014 à cause evidemment de son travail, il disait tout haut qu’il ne
l’était plus. Pour lui, Matata racontait du pipeau après 2014. Ce fut
pratiquement le point central de l’argumentaire musclé de Mokonda Bonza au
Senat le 06 Juin 2016 quand il disait que « Le cadre
macroéconomique est précaire et hypothétique». La précarité
était réelle mais rendre le cadre au niveau hypothétique est une justification
que la réalité est autre chose.
Ainsi enchaina-t-il, «A quoi ça sert de gouverner plusieurs années sans
qu’il y ait de l’eau potable, de l’électricité, de logements sociaux, de la
salubrité publique, des denrées alimentaires à des prix abordables, des soins
médicaux à des couts supportables? Je dois vous avouer que je ne suis pas
satisfait des réponses du Premier ministre à qui du reste je conseille de
l’humilité et de l’humanité ». Bref pour Mokonda, les chantres du
cadre macroéconomique manquent deux qualités: l’humilité de se mettre à sa
place et l’humanité envers les gouvernés. Il peut avoir raison dans le sens où
ceux qui tiennent ce discours vivent dans un autre monde: celui des chiffres
parfaits, celui des nombres imaginaires, celui de la fiction.
Allant sur le site du ministère de l’économie, on ne peut manquer de lire
que l’une des missions du ministre est de « fournir les données
économiques du pays, de stabiliser le cadre
macro-économique du pays, de maintenir le taux de change à un seuil
tolérable ».
Evidemment le FMI et la Banque Mondiale se félicitent toujours qu’un tel
discours soit tenu en RD Congo.
Mais ne pas comprendre cette rhétorique c’est ignorer le monde dans lequel
nous vivons. A l’heure de la mondialisation, les discours ne sont pas faits en
vain. Peut-être
Kevin Baucoud Victoire l’explique mieux lorsqu’il dit :
“La mondialisation néolibérale, qui nous a fait entrer dans une
« post-modernité liquide », marque une rupture dans la lutte de
classes. Le compromis keynésien entre
capitalistes et travailleurs des Trente Glorieuses – durant
lesquelles une forte croissance assurait une hausse soutenue des salaires – a
volé en éclat. Le combat est d’abord mené sur le plan idéologique : les
disciples de Milton Friedman (les
monétaristes) issus de l’École
de Chicago ont imposé leurs dogmes économiques, donnant une nouvelle dimension à
la lutte. En remplaçant l’objectif du plein emploi par la guerre contre l’inflation, les
capitalistes remportent une première bataille. Car l’inflation, qui déprécie la
valeur du capital au cours du temps, est le poison des possédants”. La
nuance dans le contexte congolais est que si le peuple ne possède pas beaucoup,
l’inflation ne pourra pas l’atteindra. Thomas Piketty avait déjà démontré dans
son livre « Capital au XXIe siècle » qu’en Afrique le capital a
tendance à être une possession des étrangers. Garder le taux d’inflation aussi
bas et stable dans une économie anormale ne pourra rien résoudre.
La stabilite du cadre macroéconomique, les théoriciens nous enseignent,
concerne aussi des taux d’intérêt à long terme bas et stable. Mais dans ce cas,
qui peut prétendre que les taux d’interet sont ou seront bas ? Allez dans
une banque commerciale et l’on vous répondra mieux.
Le cadre macroéconomique exige aussi que la dette extérieure soit minime
par rapport au PIB( création des richesses). La dette congolaise est une toute autre
affaire. Or le PIB Congolais laisse beaucoup de flous surtout que les
investissements « massifs » dans le mines viennent de l’étranger. Le
gouvernement s’était même plaint des « maigres revenus » que les
miniers payaient. Sans oublier que certaines dépenses (même alimentaires) sont payées
à l’étranger. Et lorsqu’un projet comme Bukanga Lonzo a échouée, il a été clair
que la stabilité du cadre macroéconomique serait encore plus hypothétique.
Bref, nos politiciens utilisent la rhétorique du cadre macroéconomique
parce qu’elle est facilement utilisable pour enfariner le peuple. Qui fera
comprendre que la lutte des classes impose le rejet de cette rhétorique ?
Un mensonge a beau être répété 10 000 fois, il ne deviendra jamais vérité…
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