L’intellectuel congolais au service de la classe dominante
Récemment il y a eu
une tournée de sensibilisation des intellectuels congolais à Kinshasa (Cepas,
Août 2017), Bukavu (Alfajiri,
Mars 2018), Kisangani (Alliance
Française, Avril 2018), Lubumbashi (Maison
du Barreau, Mai 2018).
Ce groupe d’académiciens/intellectuels
congolais a fait le tour de République pour parler de la responsabilité sociale
des intellectuels. Pendant une de ces conférences à Bukavu, Dr Mukwege
affirmait ce qui suit : « Nous sommes tentés de dire qu’au fond,
les écrits des intellectuels ne cessent de justifier et de perpétuer des
comportements immoraux et socioéconomiques de la dictature. L’intellectuel
congolais est au service de la classe dominante ».
Deux choses ressortent de cette dernière phrase. D’abord,
Il y a une classe dominante en RDC. Ensuite l’intellectuel congolais est un
serviteur de la classe dominante.
En RD Congo, la
notion de classe n’est pas trop développée.
Le marxisme qui a
fait du marxisme le cheval de bataille n’a pas eu une large audience en RD
Congo.
A part Lumumba
qui en avait déjà brièvement parlé dans les années 60, c’est Mulele qui avait popularisé
cette notion dans les maquis du Kwilu. Le témoigne de Léonie
Abo est riche en ce sens.
Dans une publication intitulée « Libertés
académiques et responsabilité sociale des universitaires en République
démocratique du Congo» de 2005, Mbata rappelle ceci « À l’université
Lovanium, qui était une université catholique, la violation des libertés
académiques et intellectuelles se manifestait notamment par le mauvais
traitement réservé à certaines disciplines scientifiques, à certaines
philosophies, à certains modes de pensée, ou à certaines personnes confessant
d’autres religions. Dans cette perspective, la sociologie générale, le
marxisme, la théologie de libération, le discours théologique négro-africain…
ont été pendant des années l’objet d’une totale excommunication scientifique.
Le marxisme a été combattu autant par l’État que par l’église. Considérés comme
des parias du régime et de la société, les marxistes n’avaient pas de place à
l’université ou dans la société. Les thèses de Marx étaient caricaturées à
outrance au point que le marxisme était confondu avec l’athéisme. Marx était
assimilé à Satan et les marxistes aux démons. Tout membre de la communauté
universitaire qui se permettait de défendre Marx ou de lire ses ouvrages déjà
très censurés et « excommuniés » des bibliothèques, s’exposait à un renvoi de
l’université et toute personne partageant ses idées se fermait les portes de
celle-ci ou préparait son éjection. L’on comprend ainsi l’ignorance criante des
thèses de Marx, sa radiation presque totale sur la liste des références
scientifiques et le saut permanent dans l’idéologie lorsqu’il est question de
l’évaluation de ces thèses pourtant d’une très forte teneur scientifique qui
font de Marx l’une des sommités intellectuelles du monde contemporain. »
On peut comprendre qu’à la suite du massacre de
Lumumba, les mouvements de gauche et marxistes avaient pullulé au Congo et
surtout à l’Université Lovanium. Mais le langage marxiste le marxisme était devenu
l’ennemi de l’Etat aligné par Mobutu vers le bloc capitaliste et celui de
l’Eglise catholique. Ainsi le discours des classes avait été étouffé avant même
son développement.
Si les classes dominantes existent, Il faut déterminer
les groupes des personnes qui les constituent ou qui les ont toujours constituées
depuis que les intellectuels sont des personnes de services aux classes
dominantes. Regardons les débats sur la lutte des classes sur le plan global.
La lutte des classes : La mondialisation et la libéralisation ?
Depuis la fin de la guerre froide et l’effondrement
du bloc soviétique, Fukuyama parlait de la « fin de l’histoire » avec
une apparente fin des idéologies comme le capitalisme libéral a enfin vaincu le
communisme.
Et depuis, ce qui est vrai la « lutte de classes », concept clé de gauche, a été oubliée surtout en Occident même dans
les partis communistes. La mondialisation ou la modernisation a fait oublier la
lutte des classes au profit des combats dits minoritaires (Antiracisme, féminisme,
…). La mondialisation néolibérale a d’ailleurs fragilisé beaucoup
d’Etats-nations et institutions. Quoique ceci soit une tendance globale, elle
se manifeste encore plus en Afrique et en RDC.
On assiste à un Etat qui se libéralise du jour au lendemain sans qu’il y
ait le débat de fond. Depuis 2002 la RDC se libéralise de plus en plus et l’on
n’a pas encore évaluée en interne sur les vrais bénéficiaires du libéralisme. Et
on a suivi plus que tout le monde la vision de la mondialisation néolibérale ou
l’objectif du plein emploi a été remplacé par la guerre contre l’inflation. On
vient particulièrement ou le langage de la macroéconomie a nourri les espoirs
de toute une nation. Aussi, le terme fetiche de classe moyenne a ete rendu populaire pour distraire l'opinion pour qu'elle oublie la lutte des classes.
Pendant que des personnes ont perdu leurs capitaux avec les banques effondrées, on ne jurait que par la stabilité du cadre macroéconomique dont la maitrise de l’inflation. Un centre de recherche s’est même permis de classer les premiers ministres de l’histoire de la RDC sur base de la croissance économique et du taux d’inflation pendant que les capitaux quittent illicitement le pays tous les jours. Ceci sans parler des gens qui n’ont pas d’emplois stables parce que désormais il faut surtout sous-traiter la main d’œuvre. C’est bénéfique pour la classe dominante. Leurs profits ne doivent pas être stables mais doivent continuer à croitre. Il faut trouver les bonnes formules pour prendre la part des employés. Mais les inégalités ne font qu’exploser. La classe dominante s’enrichit insolemment. Certains s’enrichissent des mines alors que les régions qui les enrichissent n’ont aucune école acceptable. Cette réalité est congolaise à tout niveau.
Pendant que des personnes ont perdu leurs capitaux avec les banques effondrées, on ne jurait que par la stabilité du cadre macroéconomique dont la maitrise de l’inflation. Un centre de recherche s’est même permis de classer les premiers ministres de l’histoire de la RDC sur base de la croissance économique et du taux d’inflation pendant que les capitaux quittent illicitement le pays tous les jours. Ceci sans parler des gens qui n’ont pas d’emplois stables parce que désormais il faut surtout sous-traiter la main d’œuvre. C’est bénéfique pour la classe dominante. Leurs profits ne doivent pas être stables mais doivent continuer à croitre. Il faut trouver les bonnes formules pour prendre la part des employés. Mais les inégalités ne font qu’exploser. La classe dominante s’enrichit insolemment. Certains s’enrichissent des mines alors que les régions qui les enrichissent n’ont aucune école acceptable. Cette réalité est congolaise à tout niveau.
Mais la lutte des classes existe quoique la classe
dominante fait tout pour ne plus la susciter. Sur le plan global, l’évidence
vient de Warren Buffett, troisième fortune mondiale, qui déclare sans scrupule
lors d’une interview à CNN en 2006 : « la guerre des classes
existe, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la
guerre, et qui est en train de gagner » (en
anglais : « there’s class warfare, all right, but it’s my class, the
rich class, that’s making war, and we’re winning »). Eh oui ! la classe
dominante gagne sur le plan global. Le discours favori de Rossi Mukedi selon
lequel « le peuple gagne toujours » reçoit un défi direct par ce
discours.
La lutte des classes sur le plan local
Quoique discrete, la lutte des classes se gagne aussi sur le plan local par certaines classes. L’Afrique
continue à fournir plus les matières premières pour nourrir les usines en Asie
mais les capitaux profitent plus à l’Occident. Et parmi les intermédiaires, on
peut trouver les politiciens locaux et les asiatiques. Dans ce secteur, il y a
des intellectuels congolais (Ingénieurs) qui y travaillent. Dans tous ces businesses,
il y a des juristes qui y travaillent. Il n’y a pas de mine qui appartienne
encore au peuple. Il n’y a que les creuseurs artisanaux qui représentent le
peuple impliqué dans le secteur. Ceci c’est sans oublier les assouplissements
fiscaux dont les compagnies minières ont été bénéficiaires en RD Congo pendant
longtemps. Même « L’Etat » s’est plaint des miniers et a modifié
le code minier. La question essentielle demeure : Que gagne le
peuple qui appartient à la classe dominée ? Tout le monde avait suivi
le documentaire de Glencore sur ses déboires dans le Katanga mais même Glencore
était défendu par d’autres intellectuels. Les revenues minières ne sont
toujours pas transparentes. L’initiative ITIE souffre pour tout retracer. Les
intellectuels comprennent-ils que si ces sociétés ne paient pas leurs
redevances il n’y aura pas d’école ou d’hôpitaux dans ces secteurs ?
Même quand ces sociétés payent leurs
redevances, si les quelques politiciens détournent les dites redevances,
la classe dominante à laquelle ils appartiennent ne fera que posséder des
moyens supplémentaires pour débaucher les intellectuels « au nom du
travail » mais avec buts de maintenir la majorité dans la boue.
Lors
que lorsque le LICOCO dénonçait une distribution inégale des ressources en
mentionnant des excédents budgétaires faits au détriment de l’éducation et de
la sante, les intellectuels n’étaient pas montés au créneau pour exiger des
parlementaires la responsabilité. Ces parlementaires vont encore exiger la
réélection pendant qu’ils ont sacrifié l’avenir des plusieurs enfants.
Parlons des classes selon Lasch et Gramsci. D’abord
la grande partie de la classe dominée vit dans les villages. Elle vit du
secteur informel tellement elle a peur de la répression fiscale de l’Etat. Elle
est aussi constituée des fonctionnaires normaux qui sont obligés de recourir à
la corruption pour survivre. Tous ces fonctionnaires qui obligent les voyageurs
de donner un 1000 FC non reconnus officiellement. Il y a aussi cette masse des
citadins au chômage sans éducation parfois, sans lendemain meilleurs. Elle est
constituée des intellectuels. Ces intellectuels cherchent aussi à passer dans
l’autre classe.
Selon Christopher Lasch dans La Révolte des élites « l’évolution générale de l’histoire récente ne va plus dans le
sens d’un nivellement des distinctions sociales, mais de plus en plus vers une
société en deux classes où un petit nombre de privilégiés monopolisent les
avantages de l’argent, de l’éducation et du pouvoir. »
Pour Lasch, les éléments de monopole sont clairement
identifiés. Commençons par l’argent.
Il y a des citations de plus en plus populaires en
RDC « Cherchons l’argent » ou « Chacun a un prix ». L’argent
est au centre des discours en RDC. Mais c’est quel type d’argent ? Allons
juste dans une direction. Le fait qu’il n’y ait pas de banque populaire en RDC
laisse sous-entendre cette tendance à maintenir le capital financier entre les
mains d’une classe réduite. Evidemment, comme Mukwege l’affirme, les jeunes ou
les vieux banquiers congolais travaillent pour la classe qui contrôle le
capital financier. Pour avoir une idée de ce groupe qui contrôle les flux
financiers, il suffit de jeter un coup d’œil sur les propriétaires des banques
dites congolaises. D’ailleurs, il n’y a même pas de congolais. Ce n’est pas moi
qui le dis. Déjà
en 2013, il était mentionné que 4 familles contrôlaient le secteur bancaire
congolais. Depuis 2013, il n’y a pas eu d’évolution contraire. En outre,
les périodes électorales démontrent les candidats les plus outillés
financièrement. Des mandataires publics
qui distribuent des sommes d’argent montrent qu’ils appartiennent à la classe
dominante.
Le deuxième élément de contrôle est l’éducation.
Quand on scrute le paysage éducatif congolais, voici ceux qui contrôlent le
secteur. Il y a d’abord 3 acteurs majeurs :
1.L’Etat : quoiqu’il soit le dernier venu dans
le secteur, il s’impose de plus en plus quand il peut. Ceux qui contrôlent
l’appareil de l’Etat définissent les axes de l’éducation nationale. Parfois ce
contrôle vise le maintien de la classe politique au pouvoir. Le pouvoir
rappelle toujours que l’éducation reste apolitique mais les nominations
académiques se font sur les lignes politiques. Les nominations des comités des
gestions ne se font pas sur des bases méritocratiques. Et pendant ce temps, les
campus ont des mouchards (espions des services de sécurité).
2.L’Eglise catholique : Elle a contrôlé
l’éducation pendant longtemps. Elle continue à bénéficier des avantages du
monopole passé et présent dans l’éducation. Elle possède
3.L’Eglise protestante ou les églises
protestantes : Elles rivalisaient l’Eglise catholique en matière d’éducation
jusqu’à la période ou Leopold II donna le monopole d’éducation a cette dernière.
Elles lutterent jusqu’à obtenir les subsides de l’Etat, cassant ainsi le monopole de
l’église catholique, vers 1948.
Ce n’est pas en vain que les premières universités
congolaises s’inscrivaient dans ce trio de la classe dominante. A part ces 3
groupes traditionnels, il y a maintenant les privés, qui bénéficient de la
libéralisation du secteur depuis que l’Etat a reconnu son incapacité à contrôler
tout le secteur par lui-même. Quand l’Etat se croit en danger, il peut tout
récupérer. Notons que parmi les privés, il y a beaucoup de politiciens, des
pasteurs et des prêtres qui ont des écoles privées. C’est dans cette catégorie
qu’on trouve les universités privées non conventionnelles.
Ces 4 groupes contrôlent le secteur éducatif
congolais. Si le secteur ne résout pas les problèmes de la société, il
faut directement viser ces 4 groupes. Il est rare et même impossible de trouver
des intellectuels congolais qui ne sont pas passées par ces 4 types d’écoles.
Ces écoles n’ont jamais été instituées pour développer le pays ou pour
réfléchir sur les problèmes sociaux. Les
églises ont mis leurs écoles pour former leurs cadres d’abord. L’Etat avait
suivi par suivisme et aussi pour contrer la puissance de l’Eglise catholique
qui détenait le monopole de l’éducation. Cela doit être clair. Ces structures
ne peuvent donc pas produire des intellectuels organiques. Les gestionnaires
des pouvoirs publics (l’Etat) ne veulent pas que l’éducation nationale soit meilleure
et compétitive. Ils n’y croient même pas. Voila pourquoi ils envoient leurs
enfants dans les écoles privées compétitives soit a l’étranger. Ils prouvent
que c’est acceptable de détruire l’éducation nationale aussi longtemps que
leurs propres enfants peuvent aller fréquenter à l’étranger.
Après tout, l’école permet l’hégémonie de la
classe dominante sur les autres classes. Comme dit Piotte, commentant sur la pensée
de Gramsci, elle prépare et forme aux niveaux économique, politique, culturel- les
cadres intellectuels nécessaires pour que la classe dominante dirige la société.
Ainsi il faut isoler les intellectuels de la masse. Selon Gramsci, un tel
isolement est un bon ferment pour l’échec de la société.
Le 3eme élément de contrôle est le pouvoir. Les
privilégiés veulent garder le pouvoir le plus longtemps possible même quand
aucun village n’est désenclavé. Les villages victimes seront forces de choisir
parmi ces politiciens qui ne viennent les visiter que lors de la période
électorale.
La classe dominante dans les villes?
Il y aurait plus de 688 000 villages en RDC, ce qui
représente plus de 98% de la surface nationale mais les 32 villes congolaises
détiennent le pouvoir absolu. Il faut se maintenir à tout prix même sans aucun
résultat.
Les intellectuels issus des villages quittent sans jamais
rentrer, sans jamais se poser des questions sur leurs milieux d’origine.
Conséquence, les villes congolaises ont connu une croissance exponentielle
depuis les dernières années. Peut-on
donner raison à Jean Capron pour qui « En Afrique la seule vraie classe
dominante c’est la ville » ? C’est sous-entendre que la ville est le
cadre par excellence pour la domination.
En passant, le trio de la classe dominante du point
de vue éducation habite souvent les villes, a un pouvoir médiatique sans pareil,
autant des chaines de radio que des chaines de télévision et des journaux. Du
point de vue infrastructurel, ce trio est bien outillé (écoles, universités, hôpitaux,
imprimeries, fermes, scieries, ateliers, ...). La classe des privés dominants
est aussi dans la même logique. On a vu par exemple un ancien premier ministre
construire un hôpital et une université modernes dans son fief.
Conclusion
S’il y a deux classes, la classe dominante et la
classe dominée, il faut que chaque intellectuel choisisse son destin :
rester un intellectuel traditionnel ou devenir un intellectuel organique. La
notion de classe existe encore même si la tendance globale veut faire taire la
donne mais heureusement que Dr Mukwege a fait ce rappel. Il faut seulement
aller en profondeur pour analyser les classes existantes. Le changement ou le
statu quo commencent au niveau des classes. Surtout qu’on ne se leurre pas. Ce n’est
pas tout le monde qui veut le changement. Ceux qui veulent réfléchir comme les
intellectuels organiques doivent s’attendre à tous les dangers comme ce fut le
cas pour Gramsci a qui le magistrat déclara : « Nous devons empêcher ce
cerveau (ndlr celui de Gramsci) de fonctionner pendant vingt ans » !
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